Ce ne sont pas les écrivains qui écrivent le mieux.
Ce sont les peintres ou les sculpteurs quand ils tiennent
un carnet pour leur seul besoin : ils écrivent alors
sans même s’apercevoir qu’ils écrivent,
ne cherchant que la justesse avec la rapidité.

Christian Bobin
In Mozart et la pluie

mercredi 14 octobre 2009

Un beau texte de France Delville



France Delville est critique d'art, écrivain et psychanalyste.

A Carros et à Vence
Deux expositions d’André Marzuk initiatrices de belles rencontres


Depuis le début des travaux d’extension de son Château, le Centre International d’Art Contemporain de Carros a eu à cœur de poursuivre ses activités « hors les murs », c’est ainsi qu’une fois de plus il a organisé une exposition en collaboration avec la Médiathèque André-Verdet de Carros, ici autour de l’œuvre d’André Marzuk, manifestation intitulée « Tout ce que je sais du ciel » (1) dont le vernissage eut lieu samedi dernier à onze heures tandis que l’après-midi étaient projetés des films commentés par l’artiste et le public. Aussi bien dans la présentation de Madame Claude Renaudo, déléguée à la Culture, que dans les appréciations des visiteurs, de l’émotion est passée face à une œuvre qui s’annonce comme une écologie de la pensée, et tient ses promesses. L’insertion de cette œuvre dans un « développement durable », combat des pulsions de vie contre les pulsions de mort qui peut-être agissent notre présent, étant l’objet d’un très beau Manifeste d’André Marzuk. La veille, une autre exposition avait démarré à la Chapelle des Pénitents Blancs de Vence : « Concerto pour deux cœurs » (2), hommage sensible d’André Marzuk à son épouse, ayant pour thème des lettres d’amour, anciennes, qui furent agrémentées de notations picturales. Ce qui n’est pas sans évoquer la manière dont naquit le « Petit prince » de Saint-Exupéry, comme esquisses en tête de lettres. La Correspondance illustrée d’André à Brigitte, à l’inverse est devenue un ensemble de compositions-commentaires, nouvel écrin à telle bribe. Si André Marzuk a toujours conçu son travail comme une mise en acte de son rapport au monde, comme l’indiquent les « Polylobes » du début des années 80, bijoux pour une exploration de la Diversité, sceaux formels s’enracinant dans des traditions hermétiques, l’idée du jeu entre Unicité et Multiplicité était déjà là, d’où l’or semblait émerger comme un « soulèvement de l’âme », selon le terme d’Olympia Alberti… Ces Polylobes seront explosés, leur ordre se faisant encore plus intime, sorte de nano-structure fractale aimantant les fragments du miroir brisé, et la déconstruction ayant été le grand thème de la contemporanéité. Les « Stèles » poursuivront le questionnement sur la parcelle dans une sorte de transmutation du bleu de cendre en bleu de saphir, la pierre précieuse étant ce fragment offert à l’homme par la Terre géologique. La série « Portrait d’une femme » sera soumis aux mêmes interrogations : qu’est-ce que l’image de l’Autre, construite par notre désir au sens où nous ne pouvons que projeter, l’Autre en tant qu’objet de notre vision très subjective. Dans ces portraits André Marzuk a montré ce qui échappe de l’autre et nous est restitué comme pure plastique, abstraite. Les poètes maudits seront soumis au même traitement, leur « brûlure » apparaissant entre matière et lumière, et « L’offrande picturale » achevant un hommage à ceux dont les mots ont laissé une empreinte vitale. Tout ce parcours, qui fait borne aujourd’hui, apparaissant comme une réponse révoltée, et réparatrice, au « Guernica » d’André Marzuk de 1969 : « Hiroshima/La mort », recouvrement, jour après jour, de son lieu de vie et de travail, par un bleu-gris de cendre, performance mi-publique mi-privée comme protestation, et exorcisme sans doute, car le seul humain faisant partie de l’œuvre tout en en étant exclu, c’était lui, toujours vivant, toujours de chair, de sang, toujours chaud. Finie l’Humanité, disait-il, mais au-moins-un va poursuivre l’histoire humaine, comme les gardiens de la Littérature à la fin de « Farenheit 451 », de Bradbury puis Truffaut. Tout l’œuvre dessiné d’André Marzuk appuie sa recherche sur les finesses du réel perçues dans le silence. Sans celui-ci, rien ne peut advenir. Jusqu’à de simples traces de lumières, aveu d’un rapport de l’artiste à ce champ mathématique qui sait si bien rendre compte de l’infinitésimal. Les mathématiciens aussi sont remués par l’énigme de l’ordonnancement, bouleversement que Marzuk a saisie sur fond de vide, comme il se doit. Son œuvre est une calligraphie de la rencontre entre l’ordre humain et celui de la nature, déjà en 1989 il écrivait que l’Art est une radiographie, un scanner. Et donc, une thérapie ?
L’aventure de cette réflexion guidée par des formes somptueuses se poursuivra à la Médiathèque André-Verdet le samedi 7 novembre à 14h30 en partenariat avec l’Association des Amis du CIAC.

(1)L’exposition durera jusqu’au 12 décembre 2009
(2) L’exposition durera jusqu’au 31 octobre 2009

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